Cette
fois-ci, je vous propose un entretien peu courant, mais très important
à mes yeux! Quand j'ai invité Renaud, si il a de suite été d'accord,
c'était en affichant ce même plaisir (simple car Renaud est plutôt modeste) qu'il a de par son métier à aider les autres... Ca lui va bien!
L'ayant connu à Utopia comme l'un des élèves d'harmonica de
l'association "Le souffle du Blues", c'est lors d'un stage de Roses, en
Catalogne (avec Greg Zlap et Joan Pau Cumellas)
qu'il m'a raconté comment il utilisait l'harmonica pour ses activités
professionnelles. Il a eu une superbe idée et la met en pratique !...
De suite je fus enthousiasmé, car je connaissais déjà les actions de
Jean-Jacques Milteau, Greg Zlap, Olivier Ker Ourio, Xavier Laune dans
les hôpitaux via l'association "Musique et santé",
et là je tombais sur une autre initiative spontanée, preuve que
l'harmonica est bien plus qu'un simple instrument de musique (un jouet pour certains).
La plupart d'entre vous ont intégré que mon investissement autour de ce
qui touche à l'harmonica tient plus d'une idée de base philosophique:
Je suis convaincu que cette famille d'instrument à une place dans la
société son évolution, le rapport entre les gens, l'éveil, l'histoire,
la culture, la santé (soyons curieux, ça rend heureux )...
Alors je trouve important de placer sur ce site, non seulement des
artistes qui placent l'harmonica dans son rôle le plus connu,
d'instrument de musique (et c'est déjà trèèèèès bien),
mais aussi de rappeler que l'harmonica c'est bien plus que cela, et
qu'il est important de mettre en valeur des personnes qui n'ont rien
demandé mais qui font et pour le bien des autres... parce que
ils/elles le méritent !...
Patrice Rayon >
Comment as-tu commencé la musique ?
Renaud Heigeas > Quatre ans
de piano de sept à onze ans avec la méthode d’époque: solfège,
exercices basiques et morceaux pas choisis du tout...
PR > Des influences
?
RH > Pop rock des années 60-70....
PR > D’où te vient ton
intérêt pour l’harmonica ?…
RH > Sensible
depuis l’adolescence aux effets fluides, vivants et plaintifs de
l’harmonica blues, je me suis essayé un certain nombre de fois dans ma
jeunesse sur des harmos de passage, probablement pas adaptés (harmos
trémolos), pour retrouver les effets d’altération, sans succès.
Je n’ai
donc pas insisté plus que ça pensant que ça me serait inaccessible, je
me suis donc mis à la guitare sommaire comme dirait Bobby Lapointe. Et
c’est bien plus tard à 50 ans qu’en allant acheter des cordes dans un
magasin de musique je suis tombé sur une méthode dont le titre m’a
interpellé : « méthode d’harmonica blues pour parfaits
débutants ». Je me suis dit que c’était pour moi. Il y avait inclus
dedans un harmo certainement plus adapté aux effets blues. Je m’y suis
donc essayé, et comme tout un chacun dès que j’ai pu tirer une
altération ça été fini, je suis tombé directement accro, addiction
totale, avec aucune envie d’arrêter.
PR > Tu prenais des
cours avec « Greg Zlap » à Utopia. Tu as commencé à Utopia ?
RH > Pendant
à peu près 4 ans j’ai fonctionné seul avec les méthodes et autres
supports proposés par Milteau (CD
play-back de Bastille blues, Routes,
Merci d’être venus). Et puis en essayant de refaire tous ses
solos des
autre CD (notamment « Memphis
» et le Live de 1998), ainsi que ceux
d’autres harmonicistes entendus ça et là (Herblin, Pasi…). Puis après
avoir entendu parler des soirées « Milteau- Galvin » à L’Utopia je suis
devenu un habitué et sur les tractes de l’Utopia j’ai vu qu’il y avait
des cours d’harmo le samedi. Je suis d’abord allé à un concert de fin
de stage présenté par Bako et j’ai découvert une ambiance et une
communauté très sympa et je me suis donc lancé pendant 2 années où j’ai
rencontré plein de gens différents et tous autant accros.
PR > En
plus d’en jouer pour le plaisir, tu as une utilisation peu commune de
l’harmonica qui mérite vraiment, selon moi qu’on s’y intéresse… Tu peux
nous en parler ?
RH > Lorsque
j’étais éducateur en IME (Institut Médico-Éducatif) auprès d’enfants en situation de handicap
présentant une déficience moyenne je menais déjà un atelier basé sur le
rythme. L’objectif était déjà, sur des consignes simples de leur faire
travailler leur attention en leur demandant d’être attentifs à mes
signes pour percuter en temps voulu avec l’intensité requise, sachant
qu’ils ne jouaient pas tous toujours au même moment. Puis, devant les
harmonicas personnels défectueux de diverses tonalités qui commençaient
à s’entasser dans mes tiroirs, l’idée m’est venue de leur proposer le
même type d’exercice avec des accords soufflés.
Il ne s’agit pas dans ce travail de leur enseigner l’harmonica mais
d’utiliser les commodités de cet instrument pour leur permettre
d’accompagner une mélodie avec les accords soufflés correspondants. Au
besoin, pour certains accords, mineurs notamment, du scotch sera
utilisé pour éviter le souci de précision en isolant certains trous
(par exemple Em soufflé sur un
harmo en C : Mi et Sol en ne laissant
que les trous soufflés 2 et 3 sur un harmo en C). Pour dynamiser
l’exercice j’accompagne les accords avec la guitare qui donne une
petite rythmique, sur un morceau à trois accords. Chaque enfant détient
donc un harmonica accordé dans une tonalité particulière et doit
simplement y souffler au moment voulu sur un signe de ma part. La
partie mélodique est assurée aussi à l’harmonica par mes soins à l’aide
d’un porte harmonica.
Pour trois enfants (ou six si
on prend deux enfants par tonalité, ou
plus…) l’ensemble des trois tonalités couvre la grille
d’accompagnement
des morceaux envisagés. Pour chaque enfant l’intervention doit donc se
faire de façon synchronisée avec mes signes et donc ne pas jouer
n’importe quand pour respecter l’espace des autres. Il doit donc aussi
rester vigilant même lorsqu’il ne joue pas pour ne pas rater son accord
lorsque la boucle musicale reviendra sur lui, ce qui peut être assez
rapide dans certains morceaux
Nous travaillons sur des adaptations de morceaux tels que : « le lion
est mort ce soir », « Oh when the saints », « what did I say » (Ray
Charles), « blowing in the wind » (Bob Dylan), et des
compositions perso
plus simples.
Selon leur facilité à se repérer dans la mélodie, le signal visuel de
l’adulte peut être appelé à disparaître en laissant les enfants
fonctionner uniquement « à l’oreille » et donc de façon autonome.
Auquel cas en situation d’audition, je peux leur tourner le dos et être
face au public comme eux.
Au travers de cette pratique sont
abordés plusieurs domaines :
PR > T’es tu déjà
intéressé à des associations comme « musique et santé » où plusieurs
harmonicistes connus ont déjà œuvré ?
RH >
A priori ces associations interviennent plutôt dans le domaine
hospitalier. Je pense que mon atelier pourrait tout à fait s’y prêter.
C’est actuellement dans mon cadre professionnel que je pratique cet
atelier (éducateur spécialisé
dans un Service d’Education Spécialisée
et de Soin à Domicile). C’est donc plutôt un problème de
disponibilité
qui se pose mais au moment de la retraite ce sera à envisager ainsi que
pour les associations tournées vers le handicap (Musique Et Situation
de Handicap, …)
PR > Tu as eu
des références prédominantes côté harmonicistes ? Côté autre
musiciens (groupes etc...) ?
RH >
Milteau bien sàr au départ, et puis tout ce qui peut concerner l’harmo
que j’ai pu découvrir au contact de cette communauté bien vivante
: blues-rock en général mais aussi compositeurs comme Greg,
Sébastien Charlier, Michel Herblin, Charles Pasi, …et même des inconnus.
PR > Tu
connais bien Claude Thomann qui fait l’école d’harmonica à St Ouen pour
les enfants… Tu lui as fait partager un peu de ton expérience ? Et que
penses-tu de la sienne ?
RH > Claude
aborde plus le côté mélodique avec des enfants de classes ordinaires,
il les initie aux tablatures et les amène donc à circuler sur
l’harmonica en soufflant et en aspirant. Pour avoir plusieurs fois
assisté à leur audition de fin d’année je retrouve ce même engouement
pour l’harmonica chez ces enfants et j’espère que le côté pratique de
l’instrument va en inciter certains à le garder dans la poche (et
surtout à la bouche) par la suite, ce serait sàrement très
intéressant
de pouvoir mesurer ça !
Cette approche se situe déjà à un niveau au dessus mais n’est pas
incompatible avec mon atelier. Le nombre d’enfants dont je m’occupe est
plus restreint mais ça devrait pouvoir s’envisager sur une échelle plus
grande. Il serait sàrement intéressant un jour si on peut, de réunir
ceux dont Claude s’occupe sur la partie mélodique et ceux de mon
atelier sur la partie accompagnement, je pense que ça pourrait donner
une sorte de chorale d’harmonicas, en tout cas quelque chose de
sympa.
PR > As-tu
suivi des stages de musique à part celui de Roses ? Parfois c’est aussi
l’occasion d’en faire découvrir à ceux qui lisent les entretiens…
RH >
A ce jour je n’ai fait que Rosas (trois fois) avec Joan Pau
Cumellas,
Sébastien Charlier et Greg Zlap (le trio gagnant !).
J’aimerais bien
faire le Grésiblues mais qui a lieu hors de mes disponibilités.
PR > Qu’est ce que tu
mettrais en avant pour motiver ceux qui hésitent à suivre des stages de
musique ?
RH > Personnellement
c’est plus l’ambiance générale et l’intensité des moments de Jam et
autres concerts qui me font revenir. Les apprentissages durant les
heures de stages ne sont pas inutiles bien sàr mais la densité pour ma
part fait qu’il y a de la perte mais ce n’est pas grave, ça reste un
moment très agréable quand même.
PR > T’es t’il arrivé
de jouer dans un groupe de musique, d’en faire partie, voire de faire
des concerts avec eux ?
RH > Hélas non ! Ma seule occasion de jouer en
groupe reste la Jam de St Ouen
PR > Tu ne joues pas
d'autres familles d'harmonica que le diatonique ?
RH > Non je suis vraiment plus
sensible aux sonorités du diato
PR > Joues-tu d'autres
instruments ?
RH > Je
gratouille la guitare et avec le porte harmonica c’est un autre plaisir
que je m’offre de temps en temps, j’invite tout harmoniciste qui
gratouille à faire l’essai, même simplement sur une suite basique
d’accords (sol do ré par
exemple), c’est un gros panard garanti.
PR > Que
penses tu de l'évolution de l'harmonica en tant que instrument et aussi
des techniques de jeu... par exemple l'engouement pour les overnotes au
diatonique...
RH > Pour
ma part ça m’a aidé à structurer mon jeu. Le fait auparavant de faire
avec des « notes à éviter » était plus perturbant qu’autre chose et la
difficulté de départ à sortir les overblows m’a au moins aidé à nommer
ces notes et à me repérer mieux sur l’harmo.
PR > T'intéresses-tu
à tout ce qui est effets, amplis, micros?
RH > Ça
m’intéresse bien sàr mais je n’en n’ai pas pour l’instant les moyens.
Je me suis quand même payé un « green bullet » mais j’en sui resté là,
si bien que je m’en sers très peu.
PR > Tu sais lire le
solfège? Tu utilises des partitions solfège pour l’harmonica ?
RH > Je
sais un peu lire le solfège, quelques restes de mes cours de piano
d’enfance mais pas au point de lire une partition au pied levé.
PR > Vas-tu souvent
dans des événements autour de l’harmonica, sans y être forcément invité
pour jouer ? Ca te tente ?
RH > Essentiellement
à l’Utopia (Greg, Bako, Milteau),
une fois au Melting Potes aux Lilas
(Bako), et quelques
concerts locaux (Val d’Oise)
avec Milteau. J’irai
bien un jour au festival « Harmonica sur Cher » !
Merci
Renaud d'avoir partagé ton expérience avec nous, et aussi pour tout ce
que tu fais. On ne peut que t'encourager à continuer y compris
dans ta retraite prochaine. J'espère que d'autres encore en lisant cet
entretien, s'en rappelleront pour apporter leurs idées constructives,
utiles à la société dans laquelle nous vivons et qui a bien besoin de
gens comme vous (mon opinion)...