Entretien avec Bruno Kowalczyk

Lors d'un premier séjour au Canada en 1999, mon guide passait des CDs de musiques locales et j'ai eu le "coup de cœur" sur plusieurs artistes dont la Bolduc. Avant de quitter le sol Canadien, j'ai dévalisé Archambault (la FNAC locale), conscient que j'aurais du mal à trouver ces disques en Europe. A peine rentré, je cherchais l'équivalent en France, et je suis tombé sur des CDs de Bruno Kowalczyk. J'ai commandé "C'est pas pire" et non seulement c'était pas pire, mais encore mieux que ça !...Alors j'ai commandé "...Ça pas d'allure..." et j'ai reçu le CD avec un mot super sympa  d'un artiste dont j'étais déjà vraiment admiratif... Ça n'avait pas d'allure de m'arrêter là, alors bien qu'à 5000km, j'ai suivis ce qui se passait au Québec côté musique traditionnelle mais surtout côté harmonica convaincu qu'on passait à côté de quelque chose si on ne le faisait pas!
Je peux dire que c'est Bruno qui m'a vraiment motivé à ne pas m'arrêter là car il me montrait que l'harmonica y avait sa place, et je pouvais trouver ses CDs facilement. Ça je ne lui ai jamais dit, il l'apprend! On est devenus amis, il est venu chez moi, je suis allé chez lui. Après il y a Benjamin Tremblay Carpentier, à qui je dois le plaisir de la découverte du grand festival "Mémoires et racines" et qui fait tant de son côté pour la promotion de la musique traditionnelle et, coup de bol, l'année où réapparaissait Robert Legault (référence vivante de la musique traditionnelle au Québec) après 20ans d'absence. Ça me fait bizard d'écrire ça, "promouvoir ses racines"! Pour moi, la musique traditionnelle, est un témoignage du passé mais ce n'est pas pour autant être tourné sur le passé: elle est bien vivante, et ça se voit particulièrement au Québec. Quand on est aussi passionné de généalogie comme moi et donc d'histoire, on a vite compris que sans culture du passé, l'avenir promet d'être bien compromis (c'est mon opinion)! L'ouverture est une belle qualité en musique: elle participe aussi de notre capacité à raconter des histoires avec notre instrument, avec plus que trois mots de vocabulaire ! Et comme Bruno, après son livre "L'harmonica dans la musique traditionnelle québécoise" (devenue une référence recommandée même au Québec), vient de sortir un recueil qui est encore promis à une belle réussite, c'était le moment idéal pour le faire cet entretien !...

Patrice RAYON > Comment as-tu commencé la musique? D’où te vient ton intérêt pour l’harmonica ?…
Bruno KOWALCZYK > Tout bêtement vers l'âge de six-sept ans en soufflant dans les harmonicas de mon père, Stanislas, à son insu évidemment, et en jouant les musiques que j'entendais, c'est-à-dire des musiques polonaises de danses (krakowiak, mazur
, valses) ou des musiques religieuses. A l'époque, 102 % des Polonais étaient catholiques !!! Ils ont même eu un pape, c'est pas peu dire... Mon père détenait toutes ces musiques de son propre père, lui-même appelé Stanislas qui jouait de l'harmonica et de l'accordéon, un petit à touches piano.
Je me souviens de mon père me soulevant pour me déposer sur une table de l'amicale du quartier et me poussant à jouer. Il était pas peu fier.
Par ailleurs, mon frère aîné Januz jouait pour le groupe de danses polonaises "Orzel" (l'aigle qui figure sur le drapeau polonais), la communauté polonaise du quartier. Mes cousins ont pratiqué et mes sœurs aussi...
Je démontais tous les harmo par simple esprit de curiosité et quand je trouvais que ça sonnait mal ! Comme je n'y comprenais rien et qu'une méthode d'harmo était aussi rare qu'un pays sans COVID, je ne risquais pas de trouver un conseil.
Mon prère et mon grand-père jouaient tous les deux de l'harmo trémolo, des doubles comme ils disent au Québec, des Hohner avec la belle boîte aux sapins.

Patrice R. > L'un de mes titres préférés, sur ta chaine YouTube est la "Valse des voyages"... et c'est justement dans cette vidéo qu'on voit défiler plein de photos anciennes! C'est donc ta famille, tes ancêtres du côté de ton père et les maisons en bois là où ils ont vécu ?!…
Bruno K. > Pour moi, la musique traditionnelle me renvoie à la notion, d'attachement, de racines. C'est vraiment une musique qui vient de quelque part. C'est ce que je manifeste dans la vidéo suivante, sur la magnifique "Valse des voyages" de Jean-Claude Belanger et c'est aussi ce qu'on voit sur la photo où mon oncle (Maryan) et ma tante (Lucia) chantent westphalia en polonais (Voir un peu plus bas dans l'entretien). Le tout, pour mon oncle, en costume traditionnel.

PR >  Tes instruments: Tu joues d'autres instruments ? (percussion autre?)
BK > Non, plus actuellement mais j'en ai pratiqué plusieurs, violon (ça s'est arrêté, car on me l'a volé), tin whistle, dulcimer, piano qui est le seul instrument pour lequel j'ai pris quelques cours et où je ne suis arrivé à rien !!! harmo chromatique dont je retournais les plaques pour avoir un Ré/Ré# (ce qui permet d'être fidèle aux ornementations de la musique irlandaise) et enfin, accordéon diatonique pour finir par le mélodéon des Québécois et des Cajuns, 10 boutons, 20 notes. Une seule note à sa place, pas besoin de chercher : j'ai vraiment l'esprit très diatonique.

PR > Es-tu autodidacte ?
BK > Complètement. J'ai toujours joué d'oreille, en jouant sptontanément en "tongue blocking" car c'est ainsi qu'on jouait dans ma famille. Plus tard, quand il m'a fallu l'expliquer en animant des stages, je me suis aperçu que ça n'allait pas de soi de passer du trou à trou à trou au "tongue blocking".

PR > Des influences ? Dans ton entourage proche, familial, copains...
BK > Comme je l'ai expliqué, tout d'abord, ma famille. Quand je m'y suis remis (car j'avais abandonné à l'adolescence), je me suis vraiment mis à la musique traditionnelle (comme je l'explique plus bas) mais plutôt sur le tin whistle. Pour ce qui est de la musique québécoise, j'ai entendu "Francine Reeves et les maudzits français", une musique emballante et très lyrique dans la manière de jouer de Serge Desaunay (accordéon diatonique deux rangs). J'ai tout de suite été attirée par le caractère enjouée de cette musique. J'ai alors constaté qu'un des instruments essentiels était, comme dans la musique cajun, l'accordéon un rang (le mélodéon) : 10 boutons, 20 notes. Bref, un harmonica où le soufflet remplace les poumons. Je me suis donc dit qu'il devait y avoir du répertoire pour harmonica diatonique. J'ai rencontré un ou deux québécois qui en jouaient, et j'ai démarré comme cela. Mon amour pour cette musique est vite devenu autant un amour pour ce pays. Pour ce qui est de mon jeu, il est très influencé par le style d'harmo utilisé : trémolo système oriental et par mimétisme, inspiré du jeu de violon d'Olivier Chérès, un copain. J'aimais aussi beaucoup le style de Robert Legault, qui asséchait ses harmonicas, et celui de Gabriel Labbé, deux Québécois dont le dernier a un jeu quasi inimitable tellement il est précis et ornementé.

PR > J'ai vu des vidéos qui semblaient se passer à Voutré où tu faisais un concert à la maison, bien entouré avec des joueurs de violon aussi... Ca rigolait, bien, superbe ambiance. Il y a pas mal d'anglophones tombés amoureux du coin qui jouent de la musique dans les environs,  y compris pas loin de chez mes parents eux-même Mayennais. Ceux qui t'accompagent sont des voisins ? Tu trouves avec qui jouer dans le coin ?
BK >  J'ai organisé ce type de soirées chez moi, comme on pouvait le faire au Québec. On mangeait puis on poussait les meubles, pour danser. C'est ce qu'on appelait des "Danses de cuisine". Je l'ai fait plusieurs fois ; il y avait 50 personnes dans le salon !!! Il y avait un cadre très organisé pour le concert, ensuite, on mange et/ou on danse des sets carrés avec une calleuse. Les musiciens qui jouent sont tous les gens avec qui j'ai joué et des invités dont j'avais entendu parler (j'ai même fait jouer du Mozart au violon à un copain qui croyait que cela n'allait pas être possible) !
J'ai mis ces deux vidéos de la même soirée sur le web:



PR > Tu vis en Mayenne, que tu as l'air de bien apprécier. Tu étais originaire du coin ? C'est ton métier qui t'y a amené ?
BK > Je suis originaire d'Orvault, banlieue de Nantes, là où j'ai pu voir "Tri Yann" et Gilles Servat en 1973 pour leur quasi premier concert. C'est ce qui m'a poussé à acheter un tin whistle et un harmo à l'âge de 19 ans.
J'ai ensuite été prof de lettres puis documentaliste (comme pensent les gens: boulot où tu évites de regarder par la fenêtre le matin, autrement tu ne sais plus quoi faire l'après-midi...). C'est là qu'on m'a nommé dans la Sarthe et j'ai acheté une maison à retaper en Mayenne.

PR > Tu règles tes harmonicas ?
BK >  Complètement. Disons que comme je jouais avec d'autres musiciens, j'essayais d'être "juste"... Cela a commencé par le fait que jouant de la musique québécoise je ne trouvais pas d'instrument en Ré trémolo (on joue souvent en Ré la musique québécoise), système oriental, c'est-à-dire avec deux octaves et demi (ils n'existaient qu'au Japon et le web n'existait pas), ce qui n'est pas vraiment le système richter du 10 trous.
 Cela permet de jouer des mélodies plus étendues, type "La pointe au pics" ou de l'Irlandais. Comme je ne trouvais pas de trémolo système oriental ou qu'on ne trouvait que des Do, j'en ai limé un (42 lamelles) pour passer en Ré, en essayant de garder le trémolo. Je te raconte pas le boulot. J'ai tout fait au feeling. J'ai demandé à Philippe Roguez, vendeur et réparateur d'accordéons de m'en limer un autre. Il l'a fait, mais vu le temps, s'il avait dû facturer à sa juste valeur, j'aurais eu un harmo pour 1000,00 € !!! J'ai décidé de me débrouiller seul pour les suivants et c'est ce qui m'a amené à m'intéresser aux accordages "spéciaux", uniquement sur des 10 trous. Y'avait pas de doc en français sur le problème, j'ai donc réappliqué ce que je savais faire : monter ou baisser une note. Elle manquait : je la créais, en réfléchissant un minimum aux conséquences sur le morceau à jouer. J'ai fonctionné de manière complètement "anarchique" : les modes, les gammes, ça me disait pas grand chose, contrairement à Jean Sabot qui lime ses harmos en ayant des connaissances musicales derrière.
Ceci dit, je change aussi souvent d'harmo dans une suite : quand je jouais avec deux violons, comme dans "La tuque bleue" et que tu en enchaînes du Ré, du Fa et du Sib, je sais pas faire sur un seul harmo. De plus la musique québécoise se prête peu aux altérations ou aux overblows. Et j'ai surtout pas envie de me casser la tête.

PR > Tu lis le solfège ?
BK > J'ai appris tout seul au bout d'une dizaine d'années, juste pour me souvenir des morceaux, et ayant compris qu'une tablature ne permettait pas d'échanger avec d'autres musiciens.

PR > L'harmonica c'est plus un loisir ? Tu avais une profession en parallèle ?
BK >  C'est un loisir plus qu'autre chose, qui m'a bien occupé puisque j'ai fait baucoup de bals et de concerts dans le domaine de la musique québécoise.
 Par ailleurs, j'ai bien occupé mon temps en réalisant quatre CD's, dont trois sous mon nom, comme producteur et diffuseur.

J'ai écrit un livre bilingue (français-traduction anglaise de Ray Lambert) "L'harmonica dans la musique québécoise traditionnelle : histoire, techniques, partitions, musiciens".

J'ai aussi produit un livret/DVD (bilingue là aussi) : "28 morceaux de musique traditionnelle pour harmonicas 10 trous, richter ou customisés". Tous ces produits sont disponibles sur mon site http://bklondike.e-monsite.com/

PR > Le recueil de musique traditionnelle avec DVD que tu viens de réaliser est vraiment bien ! Ça n'est pas une méthode ? Tu peux nous en dire plus ? Tu voulais explorer des musiques traditionnelles d'un peu partout ?
BK > Pour les musiques, elles viennent de Suède, Finlande, Pologne, Europe centrale, France, Irlande, Ecosse, Louisiane, Québec. Le tout accompagné de compos issues de ces traditions.
 L'objectif de ma dernière production est simple : faire découvrir un répertoire souvent méconnu sur l’harmonica 10 trous : la musique traditionnelle, tout en formulant quelques conseils pour "franchir les obstacles"... On ne trouve donc pas dans ce recueil / DVD, d’enseignements pour faire une altération, un overblow, une démonstration approfondie pour jouer en tongue blocking ou en accords, tout ce qu'on peut facilement trouver sur le web. 
 Dans ce livret, les morceaux sont vraiment adaptés à l'harmonica. Tous les schémas des harmos, partitions et autres tablatures sont présentés à travers une superbe mise en page de Jean Michel Corgeron (surtout reconnu dans le monde de l'accordéon diatonique) et les illustrations de Sylvie Ecobichon. Je voulais vraiment que ça ne ressemble pas, esthétiquement à la traditionnelle méthode d'harmo. Les vidéos ont été faites par Gérard David, et on a essayé de varier les lieux de tournages.
En plus de la vidéo, Gérard s'est aussi
occupé de la prise de son (j'ai fait les accompagnements avec Band in a Box et Mixcraft) en parfait autodidacte. Pour les illustrations, Sylvie Ecobichon s'est inspirée d'une technique ancestrale de peinture japonaise qu'elle pratique : le sumi-e.
Pour rendre cette musique abordable, j'ai parfois modifié mes harmos. Il faut se rassurer : la majorité des morceaux de ce recueil sont joués sur de bons vieux harmonicas système «Richter » (22 sur 28).

PR > Au fait tu as des enfants ? Ils jouent de la musique ?
BK >  Je n'ai pas d'enfants et quand on m'en parle, je pense toujours à Jules Renard qui écrivit dans "Poil de carotte": "Tout le monde n'a pas la chance d'être orphelin" ! Par contre j'ai un neveu que j'ai initié à la musique québécoise sur le mélodéon et qui a "trahi" : il fait maintenant beaucoup d'irlandais.

PR > Je ne sais pas si tu veux parler de ton problème d'accouphènes, c'est à partir de là que tu as arrêté les concerts ?
BK > Mes accouphènes ne sont pas si terribles que cela, si ce n'est que quand je m'enregistre, je sais que mes oreilles ont "tout faux". J'en profite pour "tirer" sur certains sonorisateurs, qui poussent tout a fond dans une petite salle de 50 personnes ou un concert accoustique suffirait.
J'ai plutôt arrêté de jouer sur scène à cause de ma bipolarité, maladie qui ne permet jamais d'avoir des projets à longs termes, un peu comme un cancer, sans parler des rapports aux autres qui changent des phases maniaques aux phases dépressives. Et, comme trouble psychique qui ne se voit pas : ça ne se voit pas...


PR > T'arrive t'il de rejouer quand même en groupe ? Peut être sans amplification ?
BK > C'est très rare car je n'ai pas trouvé dans mon secteur de musiciens pour pratiquer.

PR > A part la musique, l'harmonica, tu as des passions, des activités préférées ? D'autres que tu aimerais faire ?
BK > Une de mes passions : la lecture, et le bricolage. Je ne comprenais pas comment on pouvait aimer retaper sa maison. Le jour où je m'y suis mis, j'ai ressenti qu'on pouvait y passer ses dimanches !

PR > As-tu suivi des stages de musique ? Et en tant que prof ?
BK > J'ai fait une fois le fameux stage de Monteton dans les années 80's et 3/4 stages avec Michel Herblin plus récemment. C'est incroyable le peu de notoriété de ce musicien et surtout de cet homme, très fin et très drôle. Et surtout d'aborder très librement, d'aborder l'improvisation.
Pour ce qui me concerne j'ai donné différents stages mensuels ou sur des WE. J'en ai même donné au Québec -:), à "La grande rencontre" à Montréal, par exemple.
Bruno et ses stagiaires
Bourg Saint Léonard en 2002

PR > Tu as pas mal voyagé ?
BK > Pas vraiment. J'ai bossé trois ans en Algérie comme VSNA (enseignant, un truc qui évitait de faire le clown avec un fusil dans une caserne). Pour le reste, dans les années 70's : Angleterre, Ecosse, Irlande, Pays de Galles et à partir de 1985, le Québec.

PR > Ah oui d'ailleurs tu fais un thé à la menthe super bon, comme le faisaient mes copains Algériens et Marocains en cité universitaire!
Le Québec où tu allais souvent à une époque, c'était pour la musique traditionnelle ?

BK > Complètement. En fait j'y faisais très peu de tourisme, je rencontrais des copains musiciens.

PR > Tes voyages au Québec, ta fréquentation du festival, les amis que tu t'y es fait, c'est ce qui t'a amené à faire le livre "L’harmonica dans la musique traditionnelle québécoise : histoire, techniques, partitions, musiciens." qui est d'ailleur devenu une vrai référence (on le trouve même à la Bibliothèque Nationale de France) ?
BK > Disons que c'est un américain francophone à qui sa femme a offert un de mes CD's, qui m'a dit "Pourquoi tu n'écrirais pas un livre". Je n'avais jamais pensé à ça. Ça m'a pris quatre ans de boulot et le plaisir de "sortir" certains musiciens talentueux "des boules à mites", comme on dit là-bas. Les remettre au goût du jour, ou tout simplement, les faire connaître. Ça a été très gratifiant.J'ai eu beaucoup de satisfaction à rédiger ces 87 biographies d'harmonicistes .

Par ailleurs, j'y présente les différentes types d'harmonicas et les techniques de jeu (articulations, octaves, mordant, grace notes, etc.), 50 morceaux commentés, avec partitions, tablatures, et un CD.  Cela va des premiers enregistrements (années vingt) à des musiciens encore en activité. Le tout est complété par une information pour ajuster ou modifier son accordage, des discographies et les ressources du web de l'époque.

PR > Désormais je vais aussi au Québec pour "Mémoire et racines" qui est vraiment un super festival avec une ambiance géniale, et le plaisir de retrouver nos cousins Québecois. Il existe d'autres festivals trad. comme "La grande rencontre". Dommage j'aurais bien aimé y aller en même temps que toi. C'est Benjamin Tremblay Carpentier qui m'a convaincu d'y aller, un ami avec qui tu aurais eu de superbes contacts. Tu es sûr qu'un jour tu n'auras pas envie d'y retourner ? Certains comme Louis-Simon Lemieux m'ont demandé de tes nouvelles là-bas...
BK > Difficile de ne jamais dire "jamais", mais mon dernier voyage en 2015, suivi d'une grave dépression, pour des raisons personnelles, fait que j'hésite à y retourner. En 2018, je voulais me ballader au Cap Breton, même topo. Je devais d'ailleurs y rencontrer Benjamin Tremblay Carpentier dont on doit vraiment saluer l'humour et le sens pédago... Ça se fera peut-être en France.

PR > Et le festival "Mémoire et racines" qui a lieu fin juillet dans la province de Lanaudière au Québec, tu y es allé souvent ? Il n'y a pas tant de joueurs d'harmonica, sur place mais on y a clairement une place si on veut. Tu y jouais ? Pas de problèmes pour loger ? Tu campais ?
BK > A propos de Mémoires et racines, j'y suis allé plusieurs fois. J'ai fait ce qu'on appelle un workshop et un concert seul. Je logeais chez Norman Miron ou Yves Lambert.

Lucienne et Maryan chantent Westphalia
en polonais avec Bruno et Alain Chatry
Domi Kowalczyk calleuse et Bruno
lors d'un bal Cheille 2005

PR > Tu t'es mis à l'harmonica diatonique, au blues, par curiosité pour le diatonique ou l'attirance d'autres techniques comme les altérations qu'on utilise pas en musique traditionelle ?
BK > Le truc est un peu "con". En 1973 j'ai acheté la méthode de JJ Milteau (une des premières en français, sinon la première), accompagnée d'un 45 tours !!! J'ai acheté un harmo en Sol (G) au lieu du Do. J'ai confondu G et C. Au bout d'une semaine (surtout en essayant de suivre scrupuleusement les rares tablatures), je me suis dit que le macramé ou le patin à roulettes me conviendraient mieux... et j'ai laissé tomber.
Depuis plusieurs années je suis attiré par cette musique, mais je bloque complètement sur l'improvisation, je suis incapable de m'orienter dans une grille. En fait, j'ai toujours joué en groupe avec des gens qui m'accompagnaient, mais j'évitais juste de me tromper, car je ne savais pas comment reprendre sur une grille.

PR > La difficulté de se retrouver dans une grille de blue, on l'a tous connu je te rassure ! Tu joues aussi d'autres familles d'harmonicas ? 
BK > Pour le chromatique,  ça me permet juste d'aller chercher une note (c'est souvent ce qui rend la mélodie originale). En fait, je ne suis pas un joueur de chromatique. J'utilise souvent des harmos que je customise, certains ne jouant même qu'un seul morceau, comme "Hommage à Jimmy de Genova", de Philippe Bruneau. Dans tous les cas, je valve mes 10 trous pour "atteindre" certaines notes" (Mib et Solb) sur un Do par exemple. Mais ce n'est nullement indispensable pour jouer l'essentiel de la musique traditionnelle.

Hommage à Jimmy de Genova (Philippe Bruneau) joué sur un 10 trous que j'ai customisé.

PR > Que penses tu de l'évolution de l'harmonica en tant que instrument et aussi des techniques de jeu... par exemple l'engouement pour les overnotes au diatonique...
BK > Je suis bien loin de tout cela. Ce qui s'est nettement amélioré c'est vraiment la réponse des anches et l'étanchéité. Et aussi la variété des fabricants. Quand on entend les harmonicistes des années 30's et quand on sait sur quels types d'harmos ils jouaient, on reste rêveur...

PR > T'intéresses-tu beaucoup à tout ce qui est effets, amplis, micros? Tu veux bien nous dire ce que tu utilises habituellement comme matériel ?
BK >
Je ne m'intéresse pas du tout à tout cela. J'utilise habituellement un Shure Beta 58. Ça me prend habituellement trois minutes pour faire ma balance, avec un minimum de réverb. Dans la musique québécoise les notes doivent être claires, nettement articulées et attaquées.
Quand j'ai mixé le son pour ma dernière production, j'ai vu l'étendue du problème et les méandres dans lesquels on peut se perdre, surtout quand on ne s'y connait pas. Je me souviens d'une phrase de Jean-Jacques Milteau qui m'avait marqué : "Le son ça n'existe pas". Quand en plus tu as des appareils audio, je te dis pas.

PR > Tu as joué avec plusieurs groupes, tu peux nous en parler ? On trouve encore des vidéos et des CDs ?
BK > J'ai fondé Rivière du Loup avec Alain Chatry en 1985, puis joué parallèlement avec "La tuque bleue" et enfin "Chicoutimi". Dans tous les cas, il s'agissait de musique québécoise, avec la même formule : concert suivi d'un bal. Ce sont toujours des musiques de danses (Set carrés au Québec). J'aime beaucoup ces danses, ainsi que les danses traditionnelles en général. Je pense qu'il est important de savoir soi-même valser pour jouer une valse, idem pour une scottish. Tous ces CD's sont toujours disponibles.

PR > Tu donnes toujours des cours d'harmonica ?
BK > Non. En fait, c'est souvent décourageant si les gens bossent 10' par jour!!! Mais si je tombe sur une personne motivée, ça peut se faire.

PR > Je serais motivé; j'ai même acheté des Tombo Deluxe... Juste il me faudra attendre la retraite car je n'ai pas trouvé le moyen de vivre plusieurs vies dans des univers parralèles en simultané ! Tu as d'autres styles de musique préférés ?
BK >
A part les musiques trad', pas vraiment. A vrai dire, je n'ai pas beaucoup de temps pour en écouter. Mes musiques préférées sont les musiques cajuns et la musique du Cap Breton.

PR > L'an passé tu as eu un accident de voiture, pendant l'épisode du virus? Ca va mieux ?
BK >
Tout est réparé si ce n'est une fracture de vertèbres qui devrait me faire souffrir tous les jours pendant six-sept ans. Mais enfin bon, y'a quand même plus grave.

PR > Le gars qui jouait avec toi de l'accordéon, Alain Chatry, il est passé au festival de Ampoigné en Mayenne en visiteur et nous a joué des airs traditionnels en faisant de la podorythmie. Très peu de monde le connais et pourtant il est très bon aussi. Il jouait avec toi avant aussi non ?
BK >
Et comment. C'est un de mes meilleurs amis, joueur d'accordéon diatonique, d'harmonica trémolo, d'orgue de barbarie, et effectivement il tape du pied. J'ai oublié que pour tout violoneux ou harmoniciste, au Québec, c'est essentiel. J'ai mis une petite démo ici:

PR > Il n'y a pas tant de monde que ça qui joue du traditionnel en France, ou plutôt le blues est pas mal mis en avant. Pourtant je crois que beaucoup de monde aime les musiques traditionnelles comme la musique irlandaise, le traditionel québecois qu'on entend moins en France. Pourtant j'ai vu au festival de "Harmonicas sur Cher" que les gens adoraient. As tu une idée de pourquoi il n'y a pas plus de monde qui essaie de jouer du traditionnel en France ? Est-ce que c'est pour une question de rigueur demandée, peut être d'harmonicas qu'on trouve moins facilement ?
BK > Pas du tout. Je pense qu'historiquement, en France et dans la musique traditionnelle, l'harmo est mis sur le côté, au sens propre sur une scène, comme au sens figuré. Quand j'ai fait mon premier CD en 1996 "C'est pas pire" je l'ai produit moi-même, et j'ai en gros décidé des grandes orientations; il y a de l'harmo sur toutes les plages, mais aussi du violon, du piano, du mélodéon, de  la guitare, des pieds, etc. En tant que tel, ce n'était pas un CD d'harmo. Il s'écoutait comme n'importe quel CD et on n'entend pas l'harmo de manière accessoire tous les cinq morceaux, comme ça se produit dans beaucoup de bals folk. Et il s'est très bien vendu !!! Il s'agit juste de savoir ce qu'on veut faire.

PR > Pour qui voudrait se lancer à jouer des airs traditionnels québecois par exemple, aurais tu des conseils sur l'approche ? Le type d'harmonicas, la façon de s'y mettre, des airs plus faciles que d'autres ?
BK >
Deux airs très faciles sur un 10 trous : le réel des noces d'or et le réel des noces d'argent. Je conseille les Yonberg ou Brodur. Prenez-en au moins en Ré. Je vous conseille aussi l'achat d'un Ré grave de chez Hohner (modèle Thunderbird) ou Seydel (Classic Low D). Si vous voulez vous lancer dans un répertoire plus étendu sans avoir à faire des contorsions avec les altérations et les overblows (pas du tout dans le style) prenez un système oriental. Type Tombo 21 De Luxe, dans l'ordre Ré, puis Sol, puis La.

PR > Il y a Jean Sabot en Bretagne, originaire de pas loin de là où tu vis qui joue beaucoup de traditionel. Vous vous conaissez bien... Ca vous arrive d'échanger, de jouer ensemble ?
BK > On n'est pas loin, c'est vite dit, "vu de Paris". On échange de temps en tant, mais pas plus que cela.

PR > A part Jean Sabot ou Alain Chatry, il y en a d'autre qui jouent de la musique traditionnelle à l'harmonica en France et qui te viennent en tête au moment où je te pose la question ?
BK >
Oui; Guillaume Vargoz, que j'avais rencontré il y a bien longtemps et qui m'avait vraiment impressionné par son énergie et sa précision. Il est, je crois, dans les Alpes.

PR > J'avais aussi Guillaume en tête, et oui il est vraiment très bon et pareil : tellement discret ! As tu des projets côté harmonica après ce recueil ? Si un jour un festival, ou autre événement musical t'invitait pour jouer sur scène ça serait possible ? Peut-être sous certaines conditions ?
BK >
J'ai effectivement d'autres projets. Vivant seul, dans un endroit désert, si je n'en ai pas, je meurs. Mais de là à les mener à bout ou à rejouer une scène, tout cela est un peu lié à ma bipolarité.
Je n'ai pas de conditions particulières pour jouer.

PR > Avec la COVID, on a vu pas mal de musique via les plateformes Internet et sur les réseaux sociaux. Est-ce quelque chose qui pourrait t'intéresser en tant qu'organisateur  ou prof ou pour faire des concerts ?
BK > A priori, non, cela me prendrait trop d'énergie, et la technique et moi...

PR > Merci beaucoup Bruno d'avoir accepté de te livrer ainsi . Ça faisait longtemps que j'espérais faire cet entretien ! Je rappelle ton site Internet que tu gères toi-même: http://bklondike.e-monsite.com/... on peut y commander les CDs et tes livres.

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