Au
fil de mes déplacements à l'étranger, dans les réunions
d'harmonicistes, je n'ai pas manqué de constater une réaction commune
de la part de mes interlocuteurs, quand ils découvrent que je suis
français: "Oh dis donc! Mais que ce
passe t'il en France, l'harmonica se porte bien chez vous! Vous
avez plein de très bons joueurs d'harmo!...". Et ils me citent
des noms, souvent les mêmes, mais l'un d'eux revient de
plus en plus souvent: Yvonnick Prené. En France, j'entends toujours peu
parler de lui, pour le
moment. C'est
dommage, car des français qui font rayonner autant
l'harmonica français loin par delà les frontières du pays, et de
manière aussi positive, c'est rare. Ils méritent d'autant plus
de reconnaissance et d'intérêt, à mon avis, pour leur parcours et leurs
créations. J'adore ses inflexions, sa musicalité. Certains galèrent
tellement pour arriver à un bagage technique suffisant qu'ils semblent
crispés dessus en oubliant la musicalité...Mais pas Yvonnick! Robert Koch a rédigé un article
sur lui en décembre 2012.
L'année
passée, Yvonnick m'a appris qu'il venait d'ouvrir une école qui
ressemble étrangement à celle du "Souffle du Blues" à Utopia, mais à New
York! Ceux qui connaissent l'histoire des stages des cours d'harmonica
en France, l'influence de Jean-Jacques Milteau son idée des "Marine
Band clubs" dans plusieurs régions de France, l'impact des cours
d'harmonica du café concert Utopia où plein d'harmonicistes reconnus
sont passés (du stage de
Monteton au départ)
comprendront mon enthousiasme en découvrant l'initiative d'Yvonnick. Et
puis voilà que je découvre la sortie d'un nouveau CD "Wonderful World"
de Yvonnick, et
une pluie d'éloges de divers médias. Voici d'ailleurs une composition
de Yvonnick qui apparait sur le CD:
Vous comprenez maintenant pourquoi j'ai sollicité Yvonnick pour
l'entretien qui suit...C'est une autre manière d'aborder un artiste,
que j'aime bien...et d'expérience, il semble que je ne suis pas le seul
...
Patrice Rayon >
Tu Parisien d'origine, tu as vécu à Massy ? (J'habite à 200m de Massy)
Yvonnick Prené > En effet je
suis né à Paris. Ma famille a emménagé dans un immeuble à Massy
quand j'avais 2 ans. J'y ai vécu jusqu'à mon départ pour New
York à 23 ans.
PR > Des
musiciens dans ta famille? Une raison possible pour être autant attiré
par la musique?
YP > Mon grand père était
trompettiste dans la garde républicaine. Je me rappelle l'avoir entendu
jouer une ou deux fois. La musique
est plutôt entrée dans ma vie à travers les CDs qui passaient à la
maison. Chaque semaine étant gosse, je me rappelle mon père apportait
le samedi un nouveau disque de la collection Atlas à la maison. C'est
comme ca que j'ai découvert à l'age de 7 ans Sugar Blue,
Lightnin' Hopkins et Sony Boy Williamson II parmi tant d'autres. Le jazz,
Charlie Parker et les autres sont venu plus tard vers 14 ans. Vers
13-14 ans j'ai commencé à prendre des cours de guitare au conservatoire
municipale et parallèlement à l'EDIM. C'est à cette époque que mon
intérêt pour le jazz s'est développé. En plus de la bibliothèque
municipale ou j'empruntais de nouveaux CDs chaque semaine, j'écumais
régulièrement les bacs de Paris Jazz Corner à Jussieu.
PR >
Comment t'es tu mis à l'harmonica et à quel age ?
YP > C'est par hasard alors
que j'étais seul dans mon appartement, mes parents rentraient tard le
soir, j'ai découvert un harmonica en plastique sur une commode. J'ai
commencé à l'apporter en classe et à en jouer à la cours de recréation.
J'avais sept ou huit ans. Ensuite mon père m'offrit la méthode de
Don Baker sur laquelle j'ai découvert les bases de l'harmo diatonique :
single note, Tongue blocking, les bends.
PR > Ton
père aimait le blues et le jazz ? C'est comme ça que tu as découvert
Utopia ? A quel age ?
YP > Oui nous allions
parfois voir des concerts au Centre Culturel Paul Baillard à
Massy. C'est là où j'ai fait l'expérience de la musique live. Ces
concerts m'ont vraiment marqués car j'en ai encore de vifs souvenirs
aujourd'hui notamment ceux de Stefano Di Batista, James Carter, Carey
Bell, Luther Alison et Jean Jacques Milteau. Milteau était
un modèle à l'époque je passais en boucle ses CD en rentrant de
l'école, particulièrement J.J Milteau Live et Explorer.
Je suis allé à l'Utopia à 13 ans, et c'est un soir à la fin d'un
concert de Milteau, que j'ai découvert l'école du souffle du blues. En
sortant du club, j'ai vu une affiche pour les cours d'harmo.
PR > Tu es
passé quand au souffle du Blues ?
YP > La même année, j'avais
suivis un stage de blues à Monteton durant l'été, aux côtés de
Patrick Hannak,Greg Zlap et Milteau. C'était une
bonne préparation avant les cours à l'Utopia la rentrée suivante.
PR > Tu
joues d'autre instruments ? Avant ou après l'harmo ?
YP > Je joue un peu de
guitare et de piano.
PR > C'est
vrai que c'est Olivier Ker Ourio
qui t'a incité à passer au chromatique ?
YP > J'ai rencontré pour la
première fois Olivier à 17 ans. Je l'avais appellé pour prendre une
leçon. Durant cette période Je me produisais au diato dans des groupes
de jazz dans la capitale comme au caveau des
oubliettes, Studio des
Islettes, Sunside
et notamment au Square de Rivoli dans un sextette avec
Yaron Herman, Anne Paceo
et d'autres chaque semaine. En plus je me
rendais régulièrement aux jam sessions...très tard le soir, je rentrais
sur Massy avec le noctambus quand je ratais le dernier train. Malgres
des nuits souvent courtes je trouvais un moyen pour garder un bon
niveau scolaire pendant les années de lycée.
Aussi côtoyant des musiciens plus avancés, j'ai pris conscience des
limites inhérentes à l'harmonica diatonique. Parallèlement j'écoutais
beaucoup de Toots notamment un de mes CD favoris "Only Trust Your
Heart" et aussi bien sûr Ker Ourio.
Je me suis désintéressé peu à peu du
diato et ai commencé le chroma peu de temps après cette leçon avec Ker
Ourio. La transition ne fût pas simple, mais après un an de travail je
me suis retrouvé plus libre techniquement et ainsi ai je pu me
concentrer davantage sur la musique.
PR > Toi
aussi tu as rencontré Toots (grand ami de Olivier) ? Une de tes
influences ? Tiens parlons en de tes influences : Juste le Jazz ou quel
autre styles de musiques ?
YP > Je reviens toujours à
Toots quand j'ai un doute. Je l'ecoute et compare avec mes
enregistrements. Ce que je remarque chez lui
c'est sa maîtrise de la ballade, du "Storytelling" et du son. Il est
une source d'inspiration constante pour moi.
A part lui mes inspirations se trouvent dans le jazz américain, tous
instruments confondus tels que Charlie Parker, Clifford Brown, Oscar
Peterson, Kenny Dorham, Michael Brecker, Kenny Garrett, Herbie Hancock,
Brandford Marsalis et d'autres.
PR > Ton
parcours d'apprentissage de l'harmonica et de la musique à part Utopia
c'est lequel (diatonique, chromatique, autre ?) ?
YP > Au fil des rencontres
en France j'ai commencé par le Conservatoire de Massy, Paul Beucher
avec Sébastien Charlier, ensuite l'EDIM, Le conservatoire du 5ième arr.
avec David Patrois et ai poursuivis par un master à la Sorbonne en
musique et recherche au côté de Laurent Cugny.
Grâce à une bourse de la Sorbonne je suis allé étudier au City College
dans Harlem à New York. C'était un environnement assez déstabilisant
pour jeune de 23ans, parlant assez mal l'anglais durant les
premiers mois! Le plus difficile ne fût pas la barrière de la langue
mais l'adaptation au niveau musical élevé. La compétition y est féroce!
J‘ai eu la chance d'avoir rencontré John Patitucci, Jerome
Sabbagh, Ben Street et d'autres qui me mirent sur des bons
rails dès mon arrivée.
J'ai également étudié à la Columbia Université
pour un semestre aux
côtés de Ben Waltzer et Christine Correa. Ensuite j'ai reçu une bourse
de la "New School for Jazz and Contemporary Music" après l'audition
d'entrée supervisée par Jane Ira Bloom. J'y suis resté deux ans et demi
et j'y ai acquis une licence en jazz performance. C'était une
expérience très
enrichissante qui m'a permis de rencontrer de nombreux musiciens
talentueux de ma génération. Quelques uns sont sur mon premier CD dont
Michael Valeanu, Javi Santiago et Or Bareket. Et aussi J'ai pu
bénéficier de leçons de Lee Konitz, Kevin Hays, Charles Persip, Aaron
Goldberg, Peter Bernstein et d'autres encore.
PR > A la
base tu pensais vraiment faire de la musique un métier ou était ce tes
aptitudes et le regard des gens qui t'ont aidés à comprendre que ça
valait le coup de faire des études dans ce sens ?
YP > C'est tout d'abord une
envie forte de réaliser un rêve. Je me souviens d'une vision à l'age de
15 ans où je me suis vu en train de jouer sur scène. La musique n'était
pas définit mais je percevais une force dans cette projection que je
recherche à accomplir tous les jours comme une musique qui sortirait de
moi et toucherait les gens au cour.
PR >
Pourquoi les USA? Pour les origines du JAZZ? Mais je vois que tu es
aussi attiré par le Jazz Manouche...
YP > Après le bac L mon
désir était de partir aux Etats Unis pour apprendre le jazz à la
source et aussi quitter le 91 pour quelque temps.
Les universités ou écoles de musique privées étant hors de prix j'ai
choisi de m'inscrire en Sorbonne Paris IV pour une licence d'histoire.
J'ai changé ensuite pour le département musique ou j'ai eu la chance
d'avoir Laurent Cugny comme professeur.
Je
savais que la Sorbonne menait un programme d'échange avec les
Etats Unis et pouvait envoyer quelques étudiants pour un an après
l'obtention d'une licence. C‘était une bonne motivation pour
décrocher le diplôme. Je
ne serais pas aujourd'hui, musicien à New York sans la Sorbonne. J'y
étais parti pour un an et maintenant cela fait bientôt 6 ans.
PR >
Combien de CD à toi à ton actif hormis les projets sur lesquels tu es
invité ?
YP > J'ai deux CD en tant
que leader: ‘'Jour de
Fête" sur Steeplechase Records et le tout dernier s'intitule ‘'Wonderful World''.
PR > files
des cours via Internet ? Skype ? Beaucoup d'élèves ?
YP > Oui c'est fascinant
j'ai des élèves partout dans le monde: Afghanistan, Brazil, Argentina,
USA, France, Indonésie...
PR > Tu
viens d'ouvrir une école à New York c'est ça ? Depuis quand ? L'adresse
? Le principe est comme Utopia ?
YP > Il m'arrive de donner
des cours en groupe mais je reçois principalement des demandes pour des
cours particuliers à l'harmonica diatonique et chromatique. Pour les
cours en groupe, comme à l'Utopia je fais partager ma passion pour
l'harmo dans une ambiance bon enfant et relax. Je vous invite à
visiter mon site pour plus d'infos: http://nyharmonicaschool.com
PR > Es tu
déjà allé dans un festival ou l'harmonica tient le rôle de fil rouge
(que d'autre appellent festival d'harmonica) ? Tu n'as jamais été tenté
par les concours comme à Trossingen ?
YP > Je n'ai pas encore eu
l'occasion d'en visiter un mais peut être dans les années à venir.
C'est toujours sympa de côtoyer d'autres harmonicistes, il y a un bon
esprit et on apprend des nouveaux trucs.
PR > Tu
utilises des effets parfois quand tu joues?
YP > Le plus souvent pour
mes engagements dans les soirées privées, hôtels ou club j'utilise un
ampli Fishman ou un ZT. Il m'est arrivé de jouer à travers une pédale
d'effet quelques fois en concert. Je me rappelle avoir joué à travers
un vocodeur
devant Herbie Hancock lors de mon audition pour la Monk
Compétition en 2011. C'était sur sa composition ‘'The Sorcerer‘'
PR > Ton
regard sur l'harmonica, la façon dont il est reconnu ou reçu ? Trouves
tu que l'instrument se porte bien ? Plus à ton avis dans certains pays
que dans d'autres ? Une raison à cela à ton avis ?
YP > Je constate que
l'harmonica se porte bien dans le monde. Je rencontre beaucoup de
super musiciens aussi bien à New York ou à travers les réseaux
sociaux comme Grégoire Maret, Gabriel Grossi, William Galison, Hendrick
Meurkens, Antonio Serrano, Filip Jers et d'autres. L'harmonica à New
York est bien perçu, je reçois à mes concerts des commentaires très
positifs qui me font plaisir et m'encouragent. Je joue pour mon public,
c'est le but de donner du bonheur aux gens, qu'ils passent un bon
moment !
PR > Autre
chose dont tu voudrais parler ?
YP > Mon dernier CD "Wonderful World"
est disponible sur iTunes , Amazon, CD Baby, Bandcamp ...
C'est un disque intéressant qui marie les musiques que j'aime, un
répertoire varié de Django Reinhardt à Sting en passant par Jobim,
Horace Silver, Charles Mingus... Il y également deux récentes
compositions.