Voilà déjà 2ans que j'ai découvert Jean Dagba par le biais d'un diaporama musical apparu sur Internet (YouTube) : ce jeune instituteur qui a fondé la toute première école d'harmonica 100% africaine. EHD, est l'Ecole d'Harmonica de Dakar présentée par le magazine H2F n° 16...
Depuis lors, j'ai obtenu le soutien de seize donateurs, qui ont offert essentiellement des harmonicas, neufs et d'occasion à l'école suite à un premier appel de ma part. Ces harmonicas ont tous été remis à Dakar, en mains propres, de confiance, par mon ami suisse Roland Fessler, Eric Frèrejacques, « Bob » un ami congolais de Jean et par moi-même lors de ma toute première visite sur le sol africain, du 28 Mai au 3 Juin dernier.
C'est le temps, qu'il m'aura fallu pour enfin rencontrer l'ami Jean! Il faut dire que mon passé professionnel en expatriation s'était avéré aventureux, voir même un peu rodéo. L'idée d'aller seul en Afrique avec la nécessité absolue de partager la vie de Jean, rencontrer ses élèves, voir son école, comprendre par moi-même ses difficultés, tout le mérite qu'il peut avoir, l'enjeu, le sérieux de cette école et son avenir prometteur... Cette idée donc, me passionnait autant qu'elle m'angoissait car je m'attendais autant à un choc climatique que à un choc culturel. Cette première visite, seul (quoique accueilli par un ami et sa famille) sur le sol Africain, représentait malgré tout un plongeon dans l'inconnu...
Vaccin contre la fièvre jaune, médicaments de toutes sortes (l'artillerie lourde anti-moustiques) sac à dos soigneusement préparé, me voilà dans l'avion pour Dakar avec escale à Madrid...10 heures de voyage. Vingt minutes avant le départ, un message de « Bob » sur Facebook : Surtout quand tu arrives à Dakar, ne laisse personne prendre ton sac, ne fait confiance à personne (Gulp...Merci Bob...) !...
Et en effet l'arrivée à Dakar vers 21h fût mémorable. J'en ris de bon cour avec le recul, car je m'attendais à un grand hall d'aéroport, Jean juste derrière le comptoir à passeports. En fait, à peine descendu de l'avion, me voilà orienté au milieu d'un groupe de touristes espagnol dans un minibus de Grand Luxe, avec moquette, sièges en cuir en forme de trônes, puis descente à un grand pavillon d'honneur avec tapis rouge, de charmantes hôtesses sénégalaises, grand standing etc. Les espagnols visiblement pas surpris, mais moi plutôt inquiet, ne sachant comment expliquer que je ne faisais pas parti de ce groupe de touriste qui avait du payer très cher ce voyage de luxe. Je comprends alors qu'il y a eu méprise en entend l'un des responsables dire que son excellence n'était pas accompagnée. J'explique de suite que je ne suis pas avec les espagnols et je ne comprends pas ce que je fais là . Nous sommes gentiment re-convoyés dans un autre bus dans le vrai hall d'accueil où nous attendent nos bagages sur un tapis roulant, sauf que nous sommes désormais les derniers et que Jean va devoir m'attendre. A peine mon sac récupéré, une main de porteur se tend. Je dois expliquer que je suis attendu et que je préfère porter mon sac, pendant que lui m'explique que ce travail lui permet de nourrir sa famille. A Dakar, vous ne pouvez pas sortir sans un passage du gros bagage aux rayons X. D'où la question fatale que vous connaissez certainement en voyant les formes d'harmonicas similaire à des chargeurs d'arme à feu : « C'est quoi ça » ? Ce sont des harmonicas pour l'école de Dakar, pour faire de la musique vous savez ?!? Silence de quelques instants, le gars me dévisage (moi pensant alors que je vais sans doute devoir m'alléger avant de voir Jean) puis affiche un grand sourire. « C'est bon ça va, passez ! Bienvenue à Dakar»...
La porte s'ouvre, je montre mon passeport qu'il faut absolument faire tamponner pour prouver au retour que vous êtes rentrés légalement et me voilà dehors. Nous somme retenus derrière des barrières qui m'empêchent de voir Jean, accueillis par des africains très courtois, avec un badge plastifié n'ayant d'officiel que l'apparence, nous expliquant que pour des raisons de sécurité ils doivent nous prendre en charge, nous trouver des taxis, porter nos sacs, car le centre de Dakar est éloigné. Je dois expliquer que Jean est forcément là , donner son téléphone qui dans tous les cas ne serait pas joignable puisque ces gens ne sont pas des employés de l'aéroport en réalité, mais des porteurs indépendants, polis, aimables, mais convaincants... J'aperçois alors Jean au loin derrière les barrières qui me fait de grands signes, lui-même retenu derrière des barrières par des militaires mais rapidement une petite voix s'approche en courant, passée entre les jambes des adultes, et une petite main qui se tend « Patrice, Patrice, bonjour !!! ». C'est la nièce de Jean, Leila 8 ans, qui me tire hors de porté des porteurs à qui j'ai refusé de laisser mes sacs, sur les conseils de Bob. Les militaires aident alors Jean et deux amis à passer. Pendant que dans la course je demande à Jean si il connaît ces 2 gars qui ont pris mes sacs, un homme en fauteuil roulant pulvérise des records de vitesse en actionnant son siège d'une main et tendant l'autre main « Bienvenue Patrice, tu as fait bon voyage ? Je suis un ami de Jean aussi, tu as bien de la monnaie pour moi ». Jean hilare, le bras autour de moi pour faire comprendre qu'il est avec moi : «Aaaaah tu vois c'est ça l'Afrique... tu découvres hein... ». Voilà en quelques minutes le mini cortège rendu à la voiture qui ne s'attarde pas.
Mais je vous rassure, l'explication d'un tel accueil se résume essentiellement dans le fait que quand vous posez pour la première fois les pieds en Afrique, le regard exercé des porteurs repère immanquablement le « touriste nouveau ». Car je dois dire que le restant de la semaine était beaucoup plus tranquilleJ. La prochaine fois, j'aurai un air de celui à qui on ne la fait pas, qui prend les choses avec beaucoup plus d'humour, car il n'y a aucune agressivité dans tout cela, véridique !...
Sur le reste je vous passe les détails, pour me concentrer sur des aspects plus liés l'harmonica ; mais il me fallait au moins ajouter cette dose de suspense pour introduire ce mémorable voyage !
L'arrivée à la maison de Jean s'est passée dans la nuit, après un voyage très sympathique d'à peine 30 minutes, pour arriver avec une de ces pannes de courant, habituelles ici. Lors des présentations, j'ai un léger désavantage, car si je suis d'un blanc éclatant dans cette nuit sans lune, je vois surtout leur yeux mais pour les trais des visages c'est plus difficile. Ce qui les fait beaucoup rire !
Après cet accueil, un excellent repas de riz au poisson (spécialité du Sénégal), quoique ayant déjà bien mangé dans l'avion: Je ne peux résister au plaisir de faire découvrir à Jean les derniers cadeaux des généreux donateurs, qui une fois de plus on mis en évidence la solidarité entre passionnés du petit instrument magique. Prêt de 50 harmonicas dans des états les plus divers, mais un des buts de ma visite est justement d'apprendre à Jean comment fabriquer un harmonica à partir de pièces valides, puis les ajuster à l'aide des outils fabriqués par Laurent Cagnon que Eric Frèrejacques à apportés et du petit accordeur magique ?!???...qu'un employé de l'aéroport aura volé dans mon sac !!! C'est à la fois une déception pour moi et pour Jean, mais pour le reste, tout y est, y compris le livre « l'harmonica pour les nuls », qui n'est pas une méthode (Jean possède déjà celle de Sébastien Charlier) mais un excellent complément bien utile, ainsi que quelques spécialités bien françaises qui se mangent. Le fromage n'étant peut être pas la meilleure idée pour des estomacs pas habitués...
Une nuit passe et c'est à 5h du matin que je suis réveillé par l'appel à la prière. Pas de doute je me réveille à Dakar ! Jean rigole de ma surprise, lui-même est chrétien méthodiste vivant dans une communauté à 95% musulmane.
Peu après le petit déjeuner, Jean veut me montrer le centre culturel où il est allé jouer avec ses élèves lors de la récente visite d'Eric Frèrejacques. Cette première visite à peine arrivée à Dakar va être une expérience humaine formidable, car un responsable du centre qui vient nous dire bonjour demande à Jean s'il a un harmonica sur lui. Le but est de remercier les enfants, 3 classes d'environ 3 à 8 ans qui sont en train de confectionner des cadeaux pour la fête des mères qui a lieu le Dimanche suivant... Jean a le sien, mais dans la précipitation, j'ai laissé le mien dans mon pantalon chez lui. Nous profitons des 20 minutes nécessaires pour un aller retour afin de décider ce qu'on va jouer, pour la première fois ensemble ! « Oh when the Saints », « Oh suzanna », jusque là pas de surprise et enfin un morceau de Jean qu'il appelle « Blues of Africa », qui commence par une improvisation blues simple avec ces altérations qui font le charme du diatonique, et se termine par un question réponse à la mode du djembé qui est un instrument très joué ici...
Au retour nous nous retrouvons face à 23 enfants et leur institutrice, parfaitement disposés en fer à cheval. Jean qui est lui-même instituteur, commence par expliquer aux enfants qu'il s'agit d'un échange. Il demande 3 volontaires pour nous chanter des choses qu'ils ont apprises dans l'année. Après quelques secondes d'hésitation un petit garçon se lève et commence à chanter...Jean me chuchote qu'il s'agit de l'hymne du Sénégal... Applaudissements ! Une petite fille nous chante une autre chanson... C'est à notre tour de jouer, je commence avec « Oh Suzanna », un peu impressionné quand même par ces enfants surpris par l'harmonica et le monsieur tout pâle ! Je suis très vite rejoint par Jean, qui arborant fièrement le porte harmonica offert par Roland le Suisse, tape dans ses mains en jouant, faisant participer les enfants et l'institutrice pendant que l'employé du centre nous prend en photo. Chacun des 3 morceaux se termine sous les applaudissements fournis des enfants. Puis ils se remettent instantanément à chanter de nouvelles chansons ; sortis de leur timidité, l'institutrice leur dit « c'est bon les enfants, merci », mais on ne peut plus les arrêter...Toutes les chansons apprises dans l'année s'enchaînent ! Je suis conscient de vivre un moment intense et inoubliable ! Jean est très content lui-même d'un tel succès et nous décidons de ne pas laisser les 2 autres classes en reste. Les plus petits sont très amusants. Je me penche vers ceux qui me dévisagent comme pour jouer juste pour eux ; ils me renvoient de grands sourires, regardent autour d'eux tout fiers et frétillants comme pour dire : « Tu vois le monsieur, il joue pour moi » !... Les échanges avec les enfants sont difficilement descriptibles, c'est énorme ! J'ai le sentiment que certain se souviendront de ce moment et de l'harmonica... Jean et moi avons joué ensemble les mêmes morceaux pour les 3 classes, remerciés par les institutrices contentes de cette récréation. Ce fût l'occasion pour moi de constater que Jean lui-même en autodidacte, possède une bonne maîtrise de son instrument, mais aussi la reconnaissance des responsables du centre culturel qui n'hésitent pas à faire appel à lui dés qu'ils le peuvent.
Le lendemain, 2ème jour de ma présence en Afrique, je me retrouve à l'église de Jean en compagnie de 23 personnes, missionnaires comme Jean, s'apprêtant à rendre leur visite mensuelle à un village à 100km à l'est, soit 4 heures de route en « Ndiaga-Ndiaye » : ce camion de 32 places décoré de multiple dessins, décalcomanies et autre porte-bonheur... Je suis entouré de 23 personnes chantant des cantiques, de deux djembés se répondant, de l'harmonica de Jean et des miens, mais aussi de l'harmonica d'Emmanuel Mané, un jeune espoir de l'école EHD dans les yeux duquel je ne peux manquer de constater l'étincelle de passion pour l'harmonica. Malgré la très forte ambiance, mon harmonica à peine audible, son visage montrait qu'il remarquait toutes mes altérations ! Je sentais chez lui cette irrésistible envie d'arriver à faire pareil ! Cette seconde journée m'a vraiment conforté dans le fait que Jean est entouré d'élèves qui ont une réelle envie de maîtriser l'harmonica, et qui y arriveront au-delà de nombre d'harmonicistes amateurs de nos contrée chez qui je ne remarque pas forcément ou rarement le même niveau de passion... 4 heures aller plus 4 au retour ; vous devez penser que j'avais la tête « comme un pastèque » à ce rythme réellement continue ! Et bien non ! Découvrir la campagne sénégalaise, les gens qui se retournent à notre passage agréablement surpris par notre ambiance festive, la musique africaine dont je découvre certaines règles par immersion, les interventions de Jean qui montrent un exemple de l'apport de l'harmonica dans la musique africaine, le Mbalax, réclamé par les organisateurs du voyage, l'échange et le but de leur mission qui n'est pas sans me rappeler la vie d'un cousin germain de ma grand-mère; pas protestant, catholique mais tout de même... « Quelle aventuuuuure » !... Je ne peux m'empêcher de sourire au souvenir de ce bus climatisé de touristes français restant à notre niveau pendant prêt de une minute afin de mieux pouvoir nous filmer avec leurs caméscopes ...
Je dois passer rapidement sur les détails de l'arrivée au village, dans le désert, la horde d'enfants qui courent derrière le camion, les adultes réunis d'un côté pendant que les enfants sont encadrés avec des jeux de l'autre, le sermon du pasteur en Français traduit en simultané en Sérère, le défilé des croyants ayant des maux divers à déclarer, la prière pour eux, la visite aux familles par petits groupe avec l'accueil de marque qui m'est réservé (j'en suis un peu gêné et touché à la fois) En arrivant Jean et moi avons été invités à participer à des chants, une danse en ronde avec les adultes du village, avec nos harmonicas qui une fois de plus intriguaient nos hôtes, surtout les enfants... Comme quoi notre petit instrument se montre jusque dans les villages reculés du Sénégal ; petit à petit on le reconnaît... Le lendemain fut d'ailleurs l'occasion du bilan de cette visite pendant la messe dominicale ; Jean qui m'a présenté à l'assistance (chaque personne présente pour la première fois à la messe se présente), m'a expliqué la surprise des sénégalais qui ne comprenaient pas ce qu'un ingénieur français faisait si loin des hôtels où ils ont l'habitude de séjourner. C'est pourquoi on me surnommait le « sénégaulois » : du fait de préférer vivre parmi eux. Je me ferai un plaisir de vous conter une autre fois de nombreux détails de cette formidable expérience parmi les sénégalais ; indispensable pour mieux comprendre...
Lors de cette semaine intense j'ai ainsi pu visiter des points historiques et touristiques des environs tels le lac rose, le monument de la Renaissance Africaine, la place de l'indépendance avec la célèbre phrase de De Gaulle « Si vous voulez l'indépendance, prenez-là », voir le palais présidentiel où j'ai posé avec le garde pour la photo, l'île de Gorée et sa terrible porte du «non-retour » pour les esclaves embarqués vers l'occident. J'ai pu jouer quelques notes improvisées d'harmonica en compagnie de jeunes « Goréens » dont la plupart me disaient rêver d'avoir la chance de rejoindre l'Europe pour rejoindre une équipe de football... le bonheur de quelques escrocs peu scrupuleux prêt à ruiner des familles entières pour de satisfaire les espoirs bien vite déçus de ces jeunes...
Chaque jour à notre retour de balade, nous recevions la visite d'élèves de Jean et de voisins. Badiane, l'un d'eux venu de Casamance, toujours habillé tel un ministre, venait parler harmonica... je lui ai donné plein de conseils du genre, essaie d'en jouer tous les jours au moins 20 minutes, de reproduire à l'oreille des morceaux etc... Si Jean est missionnaire, il ne faut pas croire pour autant que son école mêle religion et harmonicas car Badiane est musulman et l'entente entre les élèves montre bien ces même valeurs internationales qui vont avec la musique, tels la tolérance, l'ouverture, l'enthousiasme, la fraternité... L'harmonica prolongement de la voix, signe d'humanité, joie de partager etc...
Si la classe de Jean pour ses cours particulier est sa propre chambre, il enseigne dans sa salle de classe de CE1 de son école primaire hors horaires scolaires (depuis mon passage la classe a été détruite à coup de masse, pour donner naissance a une nouvelle école, EHD a du bouger dans d'autres locaux). Le Samedi passé au village m'a permis de rencontrer certains de ses élèves, mais ce n'est que le Mercredi, veille de mon départ que j'ai pu assister à son cours d'harmonica. De nouveaux élèves pouvant venir à tout moment de l'année, Jean commence par faire un rappel de l'historique de l'harmonica. Comme les élèves ont un modèle diatonique pour les raisons que l'on imagine (ce qu'on a bien voulu leur donner puisque les harmonicas sont non seulement quasi introuvables à Dakar mais bien au-delà de leurs moyens financiers), il leur dessine les 4 trous du milieu dans lesquels il dispose les notes. Ce jours là dans la précipitation, Jean avait oublié d'amener des harmonicas en C (Do) pour leur prêter ; la réaction de David, le nouvel élève de 23ans fut instantanée : « Mais moi j'ai un harmonica en G (Sol), les notes vont être les mêmes » ? J'étais enthousiasmé par cette question très pertinente qui prouvait à quel point ces élèves étaient intéressés par le sujet, acteurs du cours et pas de simples spectateurs. Jean m'avait fait part de son souhait que je fasse la classe ce jour là , et moi je voulais le voir faire d'abord. Mon tour arrivait de prendre le relais avec son accord...
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C'est ainsi que je leur ai parlé de la notion de degrés pour leur faire comprendre que en passant d'une tonalité à l'autre, ils avaient ainsi un moyen de retrouver le nom des notes dans les trous du milieu. C'était un peu osé de ma part mais je les ai sentis vraiment intéressés. Puis j'ai fait le tour de la classe afin de les entendre jouer individuellement une note simple et pure : la condition de base avant d'essayer d'enrichir ses possibilités au moyen des altérations que j'ai tenté de leur expliquer avec l'aide du livre « l'harmonica pour les nuls ». Sans les altérations, il est facile de se décourager vu le manque de notes, mais avec il devient difficile de ranger l'harmonica dans un tiroir tant il devient passionnant d'aller plus loin dans la découverte des secrets du petit instrument magique !... Les joueurs de diatonique sont tous passés par cette étape de frustration pouvant durer des mois, heureusement souvent bien moins longtemps... J'ai conclus mon intervention en leur démontant un diatonique, pour leur expliquer comment ils fonctionnent, l'importance de l'écartement des anches, les traces de limage qui ont été nécessaires pour ajuster la hauteur de chaque note mais qui s'avère être une opération délicate où l'accordeur aurait été bien utile, tout comme pour montrer ce qu'est une altération. Sur les deux photos on voit Emma réussissant une première altération du trou 5 et sa petite sour et David (le nouveau) très intéressés par le cour de l'harmonica... Puis Jean reprenant la main, il a fait jouer quelques élèves qui avaient préparé des morceaux, dont Emma Diatta qui tenait à passer pour jouer son morceau devant nous, rester 5 minutes pour rejoindre ensuite son travail...
La fin du cours qui a duré bien plus que l'heure de base s'est déroulée dans un bouf avec un sympathique guitariste, Mamadou Badji de « l'Ecole Nationale des Beaux Arts » de Dakar et Jean-Claude le joueur de djembé. Ce fut l'occasion pour moi de présenter notre approche en occident, j'imagine ailleurs : écouter le thème proposé par le guitariste, repérer la tonalité du morceau pour choisir la tonalité d'harmonica la plus propice, ne pas se lancer sans interruption, savoir s'écouter, respecter les autres musiciens, échanger...
Mes plans d'origine étant d'apprendre à Jean et ses élèves à régler des harmonicas, de s'en re-fabriquer à partir d'harmonicas parfois défaillants parmi ceux qu'il a reçus, le vol de l'accordeur ne m'arrangeait pas, dans un lieu où même un mètre mesureur est très difficile à trouver. Les soirées étaient ainsi moins chargées que prévu. Je m'assurais donc que Jean était conscient des conséquences possibles de sa soudaine notoriété via Internet auprès de la communauté « harmonicale » mondiale. En voyant le monde s'ouvrir ainsi à lui, des harmonicistes talentueux et reconnus lui rendre visite de France, des Etats-Unis, de Suisse, du Brésil, la tendance logique serait de grimper de plus en plus haut sur un « petit nuage rose » avec une impression grandissante de facilité et de sécurité, le soutien mondial et la pérennité assurée de son école avec toujours de plus en plus d'élèves venant de partout !... Mais les risques deviennent alors multiple : L'enthousiasme de la découverte passée, l'étranger a vite fait de se faire une opinion sur l'école au travers du miroir déformant que représentent sa propre culture, ses références souvent décalées avec le mode de vie en Afrique, la notion du temps, les rapports sociaux, les coutumes, l'histoire du pays et j'en oublie forcément !...
Il faut aussi prendre en compte les dangers du déjà vu, ne pas reproduire des schémas rappelant les temps de la colonisation ou des occidentaux voulaient apprendre aux africains à cultiver la terre de leurs ancêtres, à vivre selon un modèle se rapprochant de nos références, un genre de France/Afrique harmonicale. Aider l'école EHD, collaborer, échanger paraissent naturels, mais selon la façon de faire Jean doit toujours avoir le contrôle et le mérite de SON école. Il n'a jamais assisté à un cours à la mode occidentale, ne sait pas comment cela se passe mais doit enseigner de son côté et obtenir une progression de ses élèves. A H2F on forme des moniteurs, mais un africain aura-t-il forcément la même approche dans l'enseignement dans le respect de sa culture, de ses coutumes, de son histoire etc ?... Enseigner les tablatures si c'est pour donner des morceaux américains, français, pas sénégalais n'est il pas éloigner Jean de l'utilisation qui serait la mieux adapté avec la musique africaine, le Mbalax. On peut alors se poser la question du comment aider réellement ? Matériellement il est clair que si Jean à 15 élèves dans un cours il lui faudrait un jeu de 15 harmonicas diatonique dans les tonalités les plus courantes, pourquoi pas 15 harmonicas chromatique pour le cas où il voudrait aussi enseigner la pratique du chromatique : Que chaque élève utilise le même instrument que son voisin. Le fait d'apprendre à bricoler, régler les harmonicas fait parti de la passion, et est d'autant plus utile sur un continent où les magasins ne vendent pas d'harmonica, où l'achat en ligne s'avère trop cher et la poste africaine regorge de colis percés (j'ai du me débrouiller pour que 100% des dons lui arrivent en mains propre). En conclusion le débat intéressant est : comment on peut aider l'école EHD sans lui nuire, et par là aider Jean à entretenir le foyer passionnel qui fera d'autres petits en Afrique. Début Septembre Jean a rendu visite à 3 Béninois âgés qui suivraient bien son exemple. Qui sait ?!...
Après avoir vécu une semaine parmi eux, reçu la visite de la plupart des élèves me disant tous le plus grand bien de Jean et de son école... je suis plus optimiste que jamais, de manière réfléchie avec la compréhension que mon voyage à Dakar m'a permis d'acquérir. Ce qui m'inquiète, ce sont les capacités du monde à comprendre la réalité des choses, qu'il soit normal que les progrès soient plus lents dans un pays où l'harmonica ne fait qu'émerger, le professeur apprend à enseigner un instrument qu'il maîtrise, mais qu'il continue à découvrir lui-même, où les cours sont synonyme de rassemblement festif où un élève heureux se mettra naturellement à chanter et danser au milieu de la classe pour montrer sa joie, comme j'ai vu Badiane le faire en plein milieu du cours devant des élèves enthousiastes. C'est normal, c'est l'Afrique ! Une Afrique pleine de promesses, où je vois déjà des progrès : au moins 3 élèves qui altèrent depuis Juin et qui progressent... Le propriétaire d'un cybercafé qui me téléphonait en journée pour me jouer (très bien) des morceaux à l'harmonica...
Le jour du départ, plusieurs élèves ont traversé la ville pour me dire au revoir. A l'aéroport, la spontanéité nous a fait sortir nos harmonicas en même temps, sans un mot, nous nous étions compris. Jean Dagba et moi avons joué « Ce n'est qu'un au revoir » sous le regard bienveillant des nombreux africains présents et de Badiane qui avait tenu à nous accompagner. Certainement une première ici entre un sénégalais et un français. Les chocs thermique et culturel de l'arrivée s'étaient transformés en pincement du départ avec la hâte de revenir un jour revoir mes nouveaux amis.
J'en profite pour remercier chaleureusement Jean et toute sa famille chez qui j'ai passé une superbe semaine. Franck avec qui j'ai visité Dakar et ses environs, et qui ouvre beaucoup en tant que missionnaire, hier dans les Favelas Brésiliennes, aujourd'hui pour les enfants des rue de Dakar; Chantal et Flora les grandes sours qui nous cuisinaient de bons plats (la cuisine sénégalaise est très bonne) et qui m'ont accompagnées pour me montrer des endroits à Dakar où trouver les meilleurs produits et commerçants. La petite Leila qui éclaire la maison et travaille certainement très bien à l'école. Sa mère qui a le niveau maîtrise ouvre beaucoup pour la culture à Dakar, comme Jean qui en plus d'être instituteur est diplômé en Germanistique et peut effectuer des travaux de traduction en allemand y compris via Internet. Une famille pleine d'initiatives...
Merci aussi aux élèves de Jean qui par leurs progrès constants, démontrent l‘efficacité de l'E.H.D...
Après avoir lu cet article, vous êtes sans doute enthousiaste en voyant l'action de Jean Dagba avec l'école E.H.D d'harmonicas de Dakar au Sénégal. Par cet article je voulais aussi vous sensibiliser au fait qu'il soit très difficile pour Jean d'acquérir de lui même des harmonicas pour prêter à ses élèves, et à donner aux meilleurs d'entre eux : |
Très nombreux sont ceux et celles d'entre vous qui ont des harmonicas qu'ils n'utilisent plus, fonctionnels ou non (Jean peut aussi s'en faire à partir d'harmonicas défaillants si on lui montre). Dommage de les laisser ainsi dans un fond de tiroir alors qu'ils peuvent faire le bonheur de nombreux africains attirés par cet instrument... Libre à vous ... Vous pouvez me joindre en laissant un commentaire sur cet article, ou en utilisant le lien contact en bas de ce blog... |