PR > Des influences ? Peut être aussi dans
ton entourage proche, familial, copains...
GL > Cet oncle, donc, qui m'a invité à
jouer un ou deux morceaux sur ses disques dès que j'ai su jouer trois
notes
d'harmonica. Et mon grand frère, qui lui s'était fait offrir une
guitare, et
avec qui j'ai commencé à jouer assez vite. D'abord les reprises qu'il
jouait,
et puis les chansons folk qu'il composait. Quand j'avais 17-18 ans, on
a
commencé à faire des concerts en duo. On a fait plein de bars, de
petites
scènes en Suisse Romande, et on a enregistré deux disques. C'est avec
lui que
j'ai vraiment commencé à « faire de la musique ». Et puis il
y a aussi
les disques et les cassettes qu'on écoutait à la maison : Dire
Straits,
Pink Floyd, Supertramp, Bob Dylan, Jimi Hendrix...
PR > D'où te vient ton intérêt pour
l'harmonica...
GL > J'arrive pas trop à l'expliquer. C'est une rencontre. Au
tout
début j'aimais bien être dans mon coin et essayer de sortir des
mélodies de ce
truc. Et puis, petit à petit, ça a pris de plus en plus de place dans
ma vie.
PR > Je
t'ai aussi vu dans l'excellente pièce « Le chat du rabbin »
au
théâtre des Mathurins à Paris. Vous étiez tous très professionnels, on
est venu
vous chercher je crois... Tes interventions à l'harmonica étaient
excellentes,
mais ton jeu de scène, de comédien me laisse penser que tu fais du
théâtre
depuis longtemps, non ?
GL > Merci ! J'avais déjà joué en
tant que musicien dans deux ou trois pièces, mais c'est la première
fois qu'on
me demandait de jouer la comédie. Au début, les deux autres musiciens
et moi
étions plutôt sceptiques, mais quand on a compris qu'il suffisait de
déconner
entre nous (on se connaît depuis
longtemps),
et que ça marchait à peu
près, et
qu'on s'amusait bien, on s'est laissé aller. Sinon c'était le pied de
jouer les compos de l'accordéoniste, Marc Berman, on en a d'ailleurs
fait un joli petit disque qui s'appelle "L'Angle du chat"...
|
PR >
Nombreux
sont les artistes musiciens qui avaient une formation scolaire sans
rapport
avec la musique à l'origine. C'est ton cas ? Tu as travaillé dans
d'autres domaines avant ? Tu continues ?
GL > Oui, j'ai fait des études
d'histoire, qui m'ont permis de faire des boulots plutôt sympas à côté
de la
musique : prof remplaçant, veilleur de nuit... Et d'autres petits
boulots.
Pendant mes études, la musique a pris de plus en plus de place et après
mon
diplôme je m'y suis mis à fonds. Ces temps je ne fais que de la musique.
PR > A
part la musique, l'harmonica, tu as des passions, des activités
préférées ?
D'autres que tu aimerais faire ?
GL > J'aime bien danser sur du bon
son, passer du temps avec les amis, me balader dans la nature,
bouquiner...
J'aime bien boire des cafés le matin dans les bistrots, et regarder les
gens
partir au « travail », avant de me mettre au
« travail ».
J'aime bien me la couler douce, si possible au soleil.
PR > Tu as eu des références prédominantes
côté harmonicistes, autre musiciens (groupes etc...) ?
GL > Evidemment, plein de bluesmen. Ca a commencé par deux
disques de
John Mayall qu'on m'a offert. Puis j'ai découvert Jean-Jacques Milteau,
ses
méthodes déjà , et puis sa manière de jouer. J'ai adoré, c'était clair,
accessible. Ca a été une bonne introduction au blues pour moi. Puis
j'ai
découvert toute la clique, Sonny Terry, les Sonny Boy Williamson,
Junior Wells,
Big Walter Hornton, etc... Et surtout Little Walter. Pour moi c'est le
meilleur.
Puis j'ai découvert quelques autres harmonicistes :
Larry
Adler, Hugo Diaz, Stevie Wonder. J'aime aussi les orchestres
d'harmonicas du
« Vaudeville » américain, genre Borrah Minevitch, The
Harmonicats...
Dans les vivants, j'aime beaucoup Bill Barrett. Oui, que des
chromatiques...
C'est marrant parce qu'au début, j'avais beaucoup de peine avec le son
du
chromatique. Dans les diatoniques, Howard Levy m'a beaucoup influencé
dans sa
technique, mais sinon je ne suis pas très fan de sa musique. Ha oui
j'aime bien
Jason Ricci. Il en fout partout mais des fois ça fait du bien !
Mais finalement, j'écoute assez peu d'harmonicistes... A
part
Milteau au début et peut-être Little Walter, aucun ne m'a marqué autant
qu'un
Jimi Hendrix, un Miles Davis, ou Pink Floyd...
Côté « autres musiciens », la liste est trop
longue...
J'ai pris des influences dans tout ce que j'ai écouté, évidemment. En
gros,
j'ai toujours aimé la musique afro-américaine en général : blues,
jazz,
funk, soul, rock, rap, reggae... Plein de musiques traditionnelles d'un
peu
partout aussi. Un peu de classique.
PR > Es-tu autodidacte ?
GL > Oui, j'ai commencé l'harmonica en
copiant des mélodies de chansons, genre Renaud, puis vers 16 ans j'ai
découvert
le blues et les méthodes de Jean-Jacques Milteau, que j'ai dévorées...
Puis je
m'en suis détaché, et j'ai appris en jouant avec des musiciens, en
lisant
quelques livres de théorie musicale, et beaucoup en copiant. Je
continue
d'ailleurs à apprendre comme ça : en copiant des thèmes, des solos
de
plein d'instruments différents. J'adore essayer de faire sonner
l'harmonica
comme une trompette, un violon ou un sax.
PR >
As-tu suivi des stages de
musique ? Parfois c'est aussi l'occasion d'en faire découvrir à ceux
qui lisent les entretiens...
GL > En 2005, j'ai suivi une masterclasse de Howard Levy, au
festival
Harmonicas sur Cher. Je découvrais à peine les overblows et le
chromatisme sur
le diatonique, et c'était exactement ce qu'il me fallait à ce moment.
Ces deux
heures a bouffer tout ce qu'il expliquait et jouait, m'a donné du
travail pour
dix ans... Et c'est pas fini.
J'ai fait un stage avec Michel Herblin, aussi. C'était en
2008 je
crois. J'ai passé deux-trois jours magnifiques chez lui, on a plus
discuté que
joué, on a bien rigolé, bu des coups. J'en ai retenu quelques belles
leçons de
musique et un grand moment d'humanité.
PR > Tu
es venu jouer deux fois avec ton groupe « L'ironie du son » au grand
festival français Harmonicas sur Cher. A six ans d'intervalle, les deux
fois le
public vous a vraiment adoré. Grand succès ! Il y a longtemps que
ce
groupe existe ?
GL > Nous aussi on adoré les moments passés à Harmonicas sur
Cher.
L'ironie du son a fêté ses 20 ans en 2015. Ca a commencé par une bande
de
lycéens qui fumaient des joints et jammaient ensemble dans un local, et
puis
c'est devenu un groupe, au sein duquel on a appris à jouer, à
enregistrer, à
trouver et faire des concerts... Assez vite, on a cherché notre propre
son,
notre propre style. On est passé par plein de configurations
différentes, plein
de couleurs musicales, et le groupe continue à évoluer et à se
transformer.
C'est une histoire de vie.
PR > Tu
as joué avec un ou plusieurs groupes? Dans le même style ? Tu te
classerais dans un style plus qu'un autre?
GL >
J'ai
joué avec plein de groupes différents, dans plein de styles
différents... Me classer dans un style, j'arrive pas trop. Je pense que
j'ai
toujours une grosse base de blues, même si je ne joue pas souvent du
pur blues
(ça se dit ça??!!?), en
deuxième position comme on dit dans le
jargon... Après
je mélange ça avec toutes les musiques qui m'influencent. Ce sont
souvent les
projets dans lesquels je joue, qui me poussent vers telle ou telle
façon de
jouer. Disons que les groupes dans lesquels j'ai joué ces derniers
temps
tournent autour du blues, du jazz et de diverses musiques du monde.
Avec pas
mal d'impro. Et une recherche de son. Et un lien humain fort.
PR > Tu
ne joues pas d'autres familles d'harmonica que le diatonique ?
GL > Si, un peu. J'aime bien les harmonicas
d'orchestre : Chord,
Bass. J'ai aussi un chromatique que j'utilise parfois, mais que je ne
maîtrise
pas du tout. J'ai trop à faire avec le diatonique... J'ai commencé
aussi à
jouer de l'harmonetta, j'adore cet instrument.
PR >
Joues-tu
d'autres instruments ?
GL > J'ai toujours joué des
percussions. Depuis trois, quatre ans je joue aussi du guembri, une
sorte de
basse marocaine utilisée dans les cérémonies gnawa. Et puis un tout
petit peu
de basse et de claviers. Ha oui, j'aime bien les guimbardes aussi.
PR >
Que
penses tu de l'évolution de l'harmonica en tant qu'instrument et aussi
des
techniques de jeu... par exemple l'engouement pour les overnotes au
diatonique...
GL > Je trouve incroyable cet instrument... Ce
« jouet »
limité, fabriqué pour jouer de simples mélodies, se révèle petit à
petit grâce
à ceux qui en jouent... Et il devient un véritable instrument
chromatique,
capable de tout jouer. J'ai suivi l'histoire de l'harmonica à force de
le
découvrir : d'abord des simples mélodies, puis le blues et les
altérations, et enfin les overnotes qui permettent de jouer dans toutes
les
tonalités... Et puis tout ce qu'il y a encore à faire... J'ai
l'impression
d'avoir passé des années à embrasser un crapaud et que petit à petit il
se
transforme en princesse...
Le truc, c'est que c'est un boulot incroyable pour bien
les
choper, ces overnotes, sans que ça sonne faux ou « forcé ».
En tout
cas pour moi, ça a été un travail de longue haleine, autant pour la
technique
de jeu que le réglage de mes harmos. Et c'est pas fini. Mon but, c'est
de
pouvoir jouer aisément dans toutes les tonalités, en me laissant
influencer par
l' « asymétrie » de cet instrument. C'est-à -dire que
selon la
position dans laquelle on joue (autrement dit la tonalité par rapport à
l'harmonica), on va jouer de différentes manières. Et puis
l'expressivité de
ces notes « fabriquées » avec la bouche...
PR >
Tu
proposes des cours d'harmonicas? En Suisse, j'ai l'impression qu'il y a
peu de
professeurs, alors qu'il y a un très bon niveau chez les différents
harmonicistes que je connais...
GL > Ca m'arrive, mais je ne cours pas après. J'ai aussi
l'impression
qu'il y a peu de profs dans le coin. Je sais que Bonny B. donne des
cours
jusqu'à Genève (il habite à
Fribourg je crois), mais je n'en connais
pas
d'autres. Tiens, d'ailleurs je viens de croiser quelqu'un qui a pris
des cours
avec lui, et qui m'a dit que c'était un super professeur.
Du coup certaines personnes me demandent de leur
enseigner des
trucs, et en général j'accepte de façon ponctuelle. En fait j'aime
beaucoup
donner un cours où je vais rencontrer la personne, voir où elle en est,
et lui
donner des pistes pour avancer tout seul. Ca m'arrive aussi d'avoir
quelques
élèves réguliers.
PR > Penses-tu
que le fait d'avoir plusieurs communautés (francophone, germanophones,
italophones) dans un même pays puisse avoir un impact sur la culture,
peut être
l'apprentissage de l'harmonica ou le fait d'y organiser des événements
tels que
des stages, ou festivals etc...
GL > J'en sais rien... J'ai
l'impression qu'en Suisse Alémanique, comme en Allemagne, ils ont
encore gardé
un peu de la tradition des orchestres d'harmonica, à l'ancienne, bien
traditionnel... Mais à ma connaissance il y a beaucoup moins de choses
qui se
passent autour de l'harmonica qu'en France. Sinon c'est chouette, ce
petit pays
avec des langages différentes... Artistiquement il y a plein de choses
qui s'y
passe, et c'est vrai qu'on voit une différence de culture assez marquée
entre
chaque région, c'est comme un carrefour au milieu de l'Europe.
PR >
Tu
t'intéresses beaucoup à tout ce qui est effets, amplis, micros. Tu veux
bien
nous dire ce que tu utilises habituellement comme matériel ?
GL > J'ai un ampli Fender Champ 57, une réédition. J'adore
cet ampli :
tout petit, tout léger, gros son, avec un seul bouton pour le volume.
Tu
branches, ça sonne ! Et là je viens de trouver le micro qui va
bien entre
lui et mon harmonica : un Astatic D4T des années 50. J'ai trouvé
plein de
vieux micros sur Audiofanzine, un type à Paris qui les retape et les
revend
pour arrondir ses fins de mois. J'ai passé deux après-midi chez lui à
essayer
une cinquantaine de micros. Et je suis reparti avec ce D4T et d'autres
vieilleries sympas que je n'ai pas encore eu le temps d'explorer.
Voilà pour le son de base, avec une pédale de reverb
Subdecay
Spring Theory, une disto Classic SansAmp de Tech21, un Xotic RC
Booster. Et un
super petit égualiseur paramétrique de marque WMD.
Pour certains projets, j'ajoute ensuite différents delays
et
filtres. J'aime bien faire du noise, du dub, des ambiances, avec des
sons qui
partent dans un long delay, que je modifie ensuite avec des filtres ou
effets
de synthé.
PR > Ce
qui m'a donné envie de cet entretien, c'est non seulement les succès
que tu as
eu lors de tes passages en France, mais aussi ton ouverture, ton
approche de la
musique, pas si courante, expérimentale.
Ça parait flou de parler de musique expérimentale. Tu décrirais ça
comment ?
GL > Beuh... Je n'ai pas l'impression d'avoir une approche
« pas
si courante » ou expérimentale... Oui, il y a toujours une dose
d'« expérimentation », dans le sens où j'essaie de faire mon
truc à
moi, de chercher « mon » son, et surtout pas de ressembler à
d'autres.
Même si je m'inspire de plein d'autres ! On peut dire aussi que la
plupart des
groupes dans lesquels je m'investis ont la même démarche. Et puis c'est
vrai
que j'aime bien faire des trucs bizarres avec des pédales d'effets.
Sinon, côté « boulot » sur mon instrument, je
suis de
plus en plus obsédé par deux choses : d'abord la justesse. Ou
plutôt LES
justesses. Trouver l'endroit exact où « ça se passe », choper
une
note altérée ou « overblowée » juste où il faut pour
déclencher une
émotion, un truc qui vibre dans le ventre. Et puis je commence à
m'intéresser
plus profondément aux tempéraments africains et orientaux, avec ces
notes qui
sonnent faux à nos oreilles occidentales mais qui sont juste
« ailleurs ».
Ensuite, le son : le son acoustique, celui qui sort
de mon
harmonica, de ma bouche, et puis le son « électrique »,
branché dans
un ampli. Sculpter son souffle comme si on créait une petite statue
unique à
chaque respiration... Tiens ça me fait penser aux jolis mots de Michel
Herblin :
« sculpteur de courants d'air »...
En fait, les deux se rejoignent... Il y a quelques années
je me
suis rendu compte, en passant deux mois chez un ami saxophoniste (un
super
musicien), que j'étais toujours un peu « bas » par
rapport à
lui. Le
réglage de mes harmos et ma façon de jouer faisaient que j'avais
tendance à
« bémoliser ». J'ai beaucoup travaillé ça, et petit à petit
mon son
est devenu plus clair, plus expressif, comme par magie.
Au final, ce qui m'intéresse le plus dans tout ça, dans
l'harmonica, dans la musique, c'est de retrouver le plus souvent
possible cet
état d'abandon, cet oubli de soi où la musique traverse le corps sans
obstacle.
Où tu n'es plus en train de réfléchir à ce que tu joues, où l'égo se
fait
oublier. Et c'est du boulot pour préparer les conditions favorables à
cet
état...
Et puis, j'aime faire ça à plusieurs... Cette magie qui
opère
quand la connexion se fait, sur le plan humain et musical, entre des
musiciens.
Que ce soit avec un groupe avec qui tu joues depuis 20 ans, ou un
musicien que
tu rencontres pour la première fois.
PR >
Tu
sais lire le solfège? Tu utilises des partitions solfège pour
l'harmonica ?
GL > Je m'y mets un peu, au solfège,
mais je me suis toujours débrouillé à l'oreille. Sinon, pour un cours,
ou pour
noter une gamme, j'utilise les tablatures comme dans les méthodes de
Milteau.
|
PR > Vas-tu
souvent dans des événements autour de l'harmonica, sans y être
forcément invité
pour jouer ? Ca te tente ?
GL > Je suis allé trois fois à
Harmonicas sur Cher, c'est tout. Chaque fois que j'y ai joué j'ai
prolongé mon
séjour pour profiter du festival. J'adore ce petit village, les gens
qui font
ce festival, l'ambiance. Mais j'avoue qu'après, je ne peux plus écouter
de
l'harmonica pendant au moins deux semaines tellement j'en ai plein les
oreilles... Oui, j'ai bien envie de découvrir d'autres festivals dans
le genre.
De préférence avec un de mes groupes...
PR >
Tu
as fais combien de CD ?
GL >
Une vingtaine avec différents groupes, mais aucun sous mon nom.
PR > T'arrives-t'il
de participer à des CD d'autres groupes ? Faire du studio aussi ?
GL >
Une autre vingtaine en invité, sur un ou deux morceaux.
PR > On
est souvent tenté de classer ou cantonner les musiciens dans des
styles... Et
toi ?
GL >
Ben
j'essaie de résister à la tentation.
PR > Tu
as des projets en cours ? Pas forcément liés à l'harmonica...
GL >
Avec L'ironie du son, on vient de sortir un vinyle de
la musique qu'on a enregistrée pour un film qui s'appelle
« Pipeline ».
On a fait quelques ciné-concerts, des projections du film
avec la
musique jouée en live, et on aimerait bien continuer ça un petit peu.
On a
aussi commencé une collaboration avec un autre groupe, un truc un peu
barré,
comme on aime...
Sinon j'ai deux projets de musique de théâtre en cours,
mais c'est
encore un peu tôt pour en parler. Mais promis Patrice, je te tiendrai
au courant...
Guillaume Lagger: http://www.lironieduson.ch/